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Pretoria, Afrique du Sud - 7 décembre 1988
Seul dans son bureau du ministère de la Défense, Pieter de Vaal est en train de lire un rapport. C’est la fin de l’après-midi, et la lumière de l’été passe par les fenêtres en ogive. On frappe discrètement à la porte.
Sans quitter le texte des yeux, de Vaal répond :
— Oui ?
Zeegler entre.
— On vient de nous apprendre que Fawkes a déclenché l’opération.
Le visage de de Vaal reste impassible ; il pose le rapport et tend une feuille de papier à Zeegler.
— Veillez à ce que l’officier de garde au service des communications transmette lui-même ce message au ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis.
J’ai le devoir d’avertir votre gouvernement d’une attaque imminente de votre territoire par des terroristes de l’Armée révolutionnaire africaine sous le commandement du capitaine Patrick Fawkes, retraité de la Marine royale britannique. Je regrette profondément le rôle que mon cabinet aurait pu jouer par inadvertance dans cette tragique abomination.
Eric Koerstmann, Premier ministre
— Vous admettez notre culpabilité au nom de notre Premier ministre alors qu’il est totalement ignorant de l’opération Eglantine ? s’exclame Zeegler stupéfait. Puis-je vous demander pourquoi ?
De Vaal croise les mains sur son bureau et regarde Zeegler.
— Je ne vois aucune raison d’entrer dans les détails.
— Alors, puis-je vous demander pourquoi vous envoyez aussi délibérément Fawkes à l’abattoir ?
Le ministre fait un signe de congé et reprend son dossier.
— Veillez à ce que le message soit transmis. Vos questions recevront une réponse en temps utile.
— Mais nous avons promis à Fawkes de faire tout notre possible pour le tirer d’affaire, insiste Zeegler.
De Vaal pousse un soupir impatient.
— Fawkes savait parfaitement qu’il allait à la mort lorsqu’il a accepté le commandement de l’expédition.
— S’il en réchappe et s’il parle aux autorités américaines, ses révélations seront une catastrophe pour notre gouvernement.
— Soyez sans inquiétude, colonel, dit de Vaal avec un mauvais sourire, Fawkes n’en réchappera pas. Il ne parlera donc pas.
— Vous en avez l’air bien certain, monsieur le Ministre.
— Je le suis, assure calmement de Vaal. Je le suis, vous pouvez me croire.
Au plus profond des entrailles du lowa, un personnage vêtu d’un bleu graisseux et d’un lourd caban de laine quitte la coursive et entre dans ce qui était jadis l’infirmerie du bord. Il referme la porte et s’évanouit dans l’obscurité profonde. Il promène le faisceau lumineux de sa lampe électrique dans la pièce vide. Les cloisons métalliques ont été supprimées, et il paraît perdu dans une immense caverne.
Ayant pu vérifier qu’il est bien seul, il s’agenouille et tire un léger pistolet de son caban ; il adapte un silencieux au canon et glisse un chargeur de vingt cartouches dans la crosse.
Dans le noir, il pointe le Hocker-Rodine automatique, calibre 27,5, et appuie sur la détente. Un « pschitt » à peine audible est suivi de deux chocs sourds de la balle qui ricoche sur les cloisons blindées.
Satisfait de cette vérification, le personnage fixe le pistolet à sa jambe droite. Après avoir fait quelques pas pour s’assurer que l’arme ne le gêne pas, Emma éteint sa lampe, se glisse dans la coursive et se dirige vers la salle des machines.